Le lundi 14 décembre, inquiet de l’effet des fêtes de Noël sur les contaminations, le conseil scientifique préconisait un auto-confinement d’une semaine. Ni une ni deux, Jean Michel Blanquer, ministre prévoyant, informe les parents d’élèves qu’une tolérance sera appliquée jeudi et vendredi pour les absences des élèves qui prendraient ces précautions.
« A chaque fois que cela est possible, surtout si on doit recevoir à Noël des personnes vulnérables, le Conseil scientifique (...) a dit (...) si vous pouvez ne pas emmener vos enfants à l’école jeudi et vendredi (...) vous le faites », a confirmé Jean Castex, estimant que « c’était raisonnable ».
Et quid des enseignants dans tout ça ? Et bien, ils n’ont été ni consultés, ni informés, et ont appris cette nouvelle par la presse. Oserait-on dire « Comme d’habitude » ? Et bien évidemment, eux se devaient d’être là, fidèles au poste. A eux de s’adapter, de faire avec.
C’est ainsi qu’une collègue de Lettres Classiques d’un collège de Seine et Marne s’est retrouvée sans élèves. Dans sa classe désertée, animée par la colère et l’incompréhension, elle a décidé d’écrire au Ministre de l’Education Nationale. Voici sa lettre.
LETTRE OUVERTE A « MON MINISTRE »,
Cher Mon Ministre,
Je suis seule au collège ce matin, vendredi 18 décembre, comme je l’ai été hier jeudi... Seule parce que sans élèves... Normal, ils ont bien entendu les recommandations jeudi matin dans les médias – tout comme nous, d’ailleurs- (!) - et sont restés chez eux…... Eux….
Mais du coup, dans ma triste solitude de professeure abandonnée, une foule de réflexions se bouscule dans ma tête (l’Oisiveté, on le sait…) :
Tout d’abord, fallait-il balancer ces recommandations-qui-ne-sont-pas-des consignes-on-est-bien-d’accord ( : vaut mieux pas y aller mais ça ne vous dispense pas d’y aller, hein… (!??)) aux médias pour que nous, professeurs et peut-être premiers concernés (non ?) soyons encore une fois les derniers à les apprendre ? Consignes d’ailleurs en passant si saugrenues qu’on a été un bon paquet à penser d’abord que c’était une blague !!! Ha-ha-ha, non, Jojo, tu délires !! Et puis non, c’était bien vrai…. Donc, je résume : que les élèves contaminent leurs papys et mamies, stop ! danger ! Halte-là !! Achtung !! Pericoloso !!! Mais les profs, eux, ils ne contaminent pas, c’est bien connu, ils ne transmettent rien, les profs, même plus du savoir, alors le virus, pense-donc !!!
Mais alors quoi, nos cours préparés, nos belles évaluations, nos fins de séquences, nos contenus pédagogiques et logiques aux petits oignons pour donner du SENS à nos enseignements... Hop ?? Un petit coup de balai et vivent les girouettes ? Ce n’est pas sérieux, mon Ministre… On passe encore pour des guignols, nous, des « qui font ça au talent », des gardiens de zoo, des moins que rien, des inutiles, quoi... Et puis, ce côté open-bar, buffet à volonté de la restauration bas de gamme, c’est un étrange renversement des valeurs, n’est-ce-pas ??? C’est même devenu surréaliste : les profs sont là, dispos, « présent, chef ! », prêts au service, y’a qu’à les sortir de leur cellophane, comme les douchettes à l’entrée de Leclerc, je prends, je prends pas, …. Et les consommateurs-usagers, pardon – les élèves, ils viennent, ils viennent pas, à la carte….. Il devient quoi, le contenu pédagogique, elle va encore passer où, l’envie d’apprendre, il est où le sens de notre si beau métier, avec cette sape institutionnelle sans queue ni tête que tu nous organises avec tes collègues ??? Et encore, moi, je suis dans un coin où les élèves, quand ils s’ennuient trop chez eux et viennent à l’école, ils sont gentils, le plus souvent, on fonctionne à l’affectif, c’est déjà ça... Mais tu imagines, dans les endroits où c’est pas leur souci en temps normal ?? Ha-ha-ha ! Ca va pas les aider à être crédibles, nos collègues, hein….
Mon ministre, on est fatigués, bien fatigués, tu sais…. Le virus, oui, d’accord, il enquiquine tout le monde, oui... Mais notre grosse fatigue, elle ne vient pas de lui ; elle vient du traitement déshonorant que tu nous infliges semaine après semaine, de la déconsidération humiliante qu’on doit avaler tout rond sans moufter, des décisions qu’on apprend après tout le monde comme des couillons, voilà ce qui nous fatigue le plus…. On en vient à se demander si tout ça vaut bien le coup, si on doit continuer à se fatiguer, à y croire, même…. Ça craint … !
Alors voilà, c’est Noël il paraît... Mais il a un goût bien chelou, ce Noël... Parce qu’on tend le dos en se demandant ce qui va bien pouvoir nous tomber dessus à la rentrée, hein... Qu’est-ce que tu vas nous inventer…. ? Mais je ne veux pas céder à la morosité… Alors je te propose un truc : repose-toi bien-bien-bien et loin-loin-loin pendant les vacances et si jamais par hasard toi non plus tu n’as pas envie de reprendre le chemin de l’école à la rentrée, eh bin, on t’en voudra même pas… Promis juré craché.
Une prof de langues mortes
(parmi d’autres)