Monsieur le Ministre,
Bien conscients et soucieux de l’importance de notre mission pédagogique et éducative auprès de nos élèves en cette période si particulière et très anxiogène pour tous, nous tenons à vous faire partager nos grandes difficultés et nos nombreuses interrogations sur les conditions d’enseignement et d’encadrement des élèves dans notre établissement.
En raison d’un manque considérable de moyens humains et matériels, nous constatons l’impossibilité de mettre en œuvre et de respecter le protocole sanitaire renforcé, tel que son principe le prévoit, de manière efficace sur les plans sanitaire et sécuritaire. Nous tenons d’ailleurs à rappeler la situation particulière de notre établissement : le collège Pablo Neruda de Gagny étant géographiquement très excentré, beaucoup de nos élèves utilisent chaque jour les trois cars scolaires mis à disposition le matin et le soir et beaucoup d’entre eux bénéficient de la cantine scolaire (nous comptabilisons 503 demi-pensionnaires sur 592 élèves au total). Ces éléments rendent encore plus difficile l’application du protocole et nous y reviendrons. Afin d’illustrer nos propos, nous dresserons ainsi la liste des dysfonctionnements que nous rencontrons au quotidien.
Tout d’abord, il nous semble important de souligner qu’il est actuellement impossible de maintenir la distanciation physique requise entre chaque individu et de faire respecter le port correct du masque entre les différents groupes d’élèves, que ce soit lors des arrivées au collège (ou des sorties), au moment des récréations et de la demi-pension, et même en classe pour certains.
De la même manière, il est difficile de mettre en œuvre un réel plan de circulation des élèves dans l’établissement, non seulement pour des raisons techniques (l’organisation spatiale de l’établissement n’offrant que très peu de latitude et les portes nécessitant l’ouverture et la fermeture par un adulte, lorsqu’elles sont fonctionnelles) mais surtout de surveillance des différents flux, et ce par manque de personnel. Nous constatons des attroupements importants, y compris devant le collège, notamment lorsque les trois cars scolaires arrivent en même temps. Nous ne voyons pas comment il nous est possible d’organiser autrement l’arrivée au collège, tout en respectant les emplois du temps, sans moyens humains supplémentaires.
A tout cela, s’ajoute également le problème des moments intercours. En effet, nous avons déjà pu constater lors de cette première semaine que, durant ces mouvements, certains élèves vont d’une classe à une autre, échappant à une surveillance impossible à garantir, alors que chaque classe dispose pourtant de sa salle. Des jets d’objets, des comportements à risques avec les fenêtres ouvertes, des dégradations de matériel, un port non-systématique du masque sont également à noter. Nous sommes aujourd’hui particulièrement inquiets de la sécurité de nos élèves dans de telles conditions.
Nos AED sont constamment sollicités afin de pallier les absences des professeurs (la semaine dernière, 8 à 10 enseignants sur 42 étaient absents car ils sont eux-mêmes atteints de la Covid-19, car ils sont considérés comme personnes à risques, ou encore car ils sont en congé maternité). Tous d’ailleurs, sans exception, ne sont pas remplacés. Le nombre de permanences n’a donc de cesse d’augmenter, les AED étant mobilisés pour ces dernières, ils sont par conséquent moins disponibles pour les missions de surveillance aux intercours. Ils ne peuvent, sans moyens humains supplémentaires, être présents sur tous les fronts.
Ils sont également les premiers à constater le lot de dysfonctionnements que comprend la demi-pension, face à un protocole sanitaire qui ne prend pas en compte les conditions réelles dans lesquelles se trouvent les établissements en général, le nôtre en particulier. Au vu du nombre important d’élèves à chaque service, les distances ne peuvent être respectées. On compte en effet 230 places assises pour 180 élèves en moyenne au premier service et donc plus de 320 au deuxième. Il n’est, en outre, pas possible de garantir que les élèves déjeunent chaque jour en compagnie des mêmes personnes en raison des brassages engendrés par les différences d’emploi du temps, notamment dues aux options, et les passages prioritaires liés aux ateliers et au dispositif devoirs faits. De plus, nous tenons à nouveau à souligner le manque de personnel pour garantir une surveillance optimale lors des repas de la pause méridienne mais également dans la cour de récréation. Nous avons ainsi observé que, pendant l’attente de leur passage au réfectoire, de nombreux élèves ne portent pas leur masque correctement (souvent sous le nez ou sous le menton), tout cela, une fois de plus, sans respecter les distances réglementaires.
En ce qui concerne le nettoyage et la désinfection des locaux et matériels, les moyens humains sont là aussi insuffisants. A titre d’exemple, les agents ne peuvent pas réaliser un nettoyage désinfectant des surfaces les plus fréquemment touchées, plusieurs fois par jour, parce qu’ils sont mobilisés sur la restauration sur un long temps quotidien. Le nettoyage quotidien des sols et des tables à minima est déjà très compliqué. Par ailleurs, les tables sur lesquelles mangent les élèves ne sont nettoyées, par des agents déjà bien surchargés, qu’entre chaque service mais pas après chaque personne. Pour cela la responsabilité a été donnée à chaque élève de nettoyer après lui. Peut-on vraiment garantir que cela soit suffisant ?
Il s’avère en outre difficile de garantir que les élèves se lavent régulièrement les mains dans de bonnes conditions : on recense sept toilettes fonctionnelles du côté filles et sept également chez les garçons, ainsi que cinq points d’eau pour chaque partie, ce qui est bien évidemment insuffisant. Même chose chez les adultes où, à proximité de la salle des professeurs, ne sont disponibles que deux toilettes pour un peu plus d’une quarantaine d’enseignants, sans compter les autres personnels qui les utilisent également dans la journée.
Se pose par ailleurs le problème de l’aération des locaux. Afin de garantir cette dernière, nous sommes actuellement contraints de faire cours dans le froid puisqu’une simple aération lors des intercours (ce qui nous a d’ailleurs été demandé d’éviter afin que les élèves ne soient pas tentés de passer la tête par la fenêtre) n’est pas suffisante pour garantir une pleine sécurité sanitaire. Qu’en sera-t-il d’ailleurs des jours, des semaines et des mois à venir lorsque les températures baisseront encore davantage ?
Il est important de rappeler également que notre infirmière scolaire, étant une personne à risque, est désormais absente mais n’est pas remplacée. Il n’y a donc aucun personnel médical présent physiquement sur l’établissement, ce qui est un handicap sévère dans un contexte épidémique où il est plus que nécessaire qu’un personnel de santé soit présent afin de gérer les potentiels ou avérés cas de Covid 19.
Sur le plan pédagogique enfin, les professeurs rencontrent de nombreuses difficultés techniques en raison de ce nouveau protocole. L’usage de l’outil informatique est rendu bien plus difficile (à titre d’exemples : se connecter sur un nouvel ordinateur pour la première fois de la journée prend un temps considérable, il faut également fermer et ouvrir sa session sur l’ENT, ce qui demande du temps également, sans compter les divers problèmes liés au son, à la vidéo-projection ou même de simple connexion) alors même que nos professeurs référents TICE sont très réactifs et compétents. Les professeurs perdent du temps et se fatiguent en changeant de salle à chaque heure, beaucoup d’entre nous sont même découragés. C’est notamment le cas des professeurs de matières qui nécessitent des installations et du matériel particuliers. Si les enseignants d’éducation musicale, de technologie et de matières scientifiques ont pu récemment retrouver leurs salles de classe, ce n’est pas le cas des arts plastiques. Les professeurs sont obligés de se déplacer dans tout le collège avec le matériel pour les élèves. Cela rend également difficile la validation de certaines compétences par les élèves. Par ailleurs, les salles de classe sont toutes quasiment pleines, d’autant plus avec la présence d’un AESH parfois.L’espace manque cruellement, ce qui ne laisse que très peu de latitude pour les professeurs.
En EPS, le renforcement du protocole exige, à juste titre, une distanciation minimum de deux mètres lorsque les élèves sont en activité physique dans la mesure où ils se retrouvent sans masque. Dès lors, l’équipe EPS a de nouveau adapté son enseignement en modifiant en grande partie la programmation des activités proposées et leurs formes de pratique. Toutefois, une des trois installations disponibles pour cinq enseignants d’EPS ne permet pas d’appliquer la distanciation de deux mètres en raison de sa superficie. En effet, celle-ci permet d’accueillir un maximum de 18 élèves (alors que nos classes comptent 25 à 28 élèves ou parfois même 30 élèves lors de nos regroupements de 6e dans le cadre du projet savoir-nager). L’utilisation des installations extérieures (stade J. Bouin, Stade Mimoun) se révèle aussi problématique en raison d’une saturation liée au partage avec de nombreux autres établissements scolaires de la commune. Cela induit un espace restreint de pratique et donc de possibles risques de contaminations inter établissements.
En plus de la distanciation de deux mètres lors de la pratique physique, les élèves sont amenés à enlever et remettre leur masque à plusieurs reprises lors des temps d’EPS où ils ne seront pas en activité physique. Le respect de cette contrainte, nécessaire à la préservation de la santé de chacun (élèves, familles d’élèves mais aussi personnels d’éducation), apparaît comme utopique dans un contexte d’enseignement regroupant quasiment une trentaine d’adolescents parfois non conscients des dangers liés à la Covid 19, au risque de négliger l’alternance du port et non port du masque spécifique à l’EPS. L’enseignant ne peut donc assurer seul une surveillance garantissant la totale application du protocole sanitaire renforcé (distanciation et alternance du port du masque) au vu du nombre d’élèves qui nous paraît trop important. Ceci est d’autant plus vrai que, dans une logique d’apprentissage, son attention se doit parfois d’être dirigée vers la motricité des élèves...
Pour toutes ces raisons, Monsieur le Ministre, et parce que nous avons notamment été très sensibles à la photographie illustrant ce protocole que vous mettez en avant, où l’on voit dans une salle spacieuse, en effectif réduit, des élèves attentifs, disposant de leur matériel et portant parfaitement leur masque (autrement dit l’idéal vers lequel nous souhaiterions tous vivement tendre), que nous vous demandons aujourd’hui de prendre en compte nos considérations.
Nous demandons en priorité le dédoublement de toutes les classes afin que le mouvement des élèves dans l’établissement se fasse dans le respect des règles sanitaires et sans danger pour la santé de tous. Il ne nous est pas possible de faire cours sereinement tout en craignant pour la santé de nos élèves, de leurs familles, de nos proches et enfin de la nôtre. Actuellement, le brassage régulier d’un aussi grand nombre d’élèves représente un risque que nous refusons de courir.
Nous demandons également à ce qu’un infirmier scolaire soit présent à temps plein sur l’établissement. Il n’est déjà en temps normal pas acceptable de ne pouvoir garantir une aide médicale en cas de besoin mais il est totalement inconcevable que cela soit le cas dans un moment où la santé de tous est à risque.
De plus, nous demandons à bénéficier de moyens humains supplémentaires afin de nous aider à surmonter toutes ces difficultés. Sans au moins 3,5 temps plein d’AED en plus, nous ne pouvons garantir aux parents que leurs enfants soient en sécurité dans l’établissement. Nous avons besoin de plus de personnes pour assurer des surveillances efficaces dans les salles de classes et couloirs lors des interclasses, dans la cour au moment de la récréation ainsi qu’au réfectoire lors de la demi-pension, en plus des tâches administratives que les AED ont à effectuer quotidiennement. Il ne nous est par ailleurs pas possible d’envisager de priver les élèves d’une véritable récréation, en les gardant dans leur salle de classe, comme cela a pu être proposé. Il en va de la dignité et de la santé mentale de chacun de pouvoir disposer d’un temps à soi, en extérieur.
Ces moyens humains concernent également les agents polyvalents qui sont déjà débordés par les trop nombreuses tâches qui leur incombent et soucieux de ne pouvoir garantir l’entretien et la désinfection des locaux et du matériels comme cela est préconisé par les personnels de santé ainsi que le protocole renforcé. Il est urgent de leur venir en aide afin de tous pouvoir travailler ou apprendre dans des conditions sanitaires décentes.
Les conditions dans lesquelles nous, tous les personnels, agents polyvalents, enseignants, CPE, AED, AESH, infirmière scolaire, assistante sociale, travaillons au quotidien n’ont de cesse de se dégrader. Nous nous battons constamment pour garantir aux élèves une éducation sans encombre. Aujourd’hui plus que jamais nous avons peur de l’avenir. Sans un geste et sans garanties de votre part d’assurer des moyens supplémentaires, nous ferons usage de notre droit de retrait pour mise en danger des personnels et des élèves en raison d’un protocole sanitaire inapplicable.
Nous vous prions, Monsieur le Ministre, de croire en notre très haute et très dévouée considération,
Les personnels grévistes du collège Pablo Neruda de Gagny, soutenus par leur section syndicale SNES-FSU,