Monsieur le Directeur académique, Mesdames, Messieurs,
Depuis plus de deux mois, notre pays connaît un mouvement social d’une ampleur inédite. Au fil des semaines, la contestation de l’augmentation des taxes s’est muée en un champ de revendications plus larges qui remettent en cause la politique fiscale et sociale du gouvernement et questionnent les formes de notre démocratie : pêle-mêle, sur les ronds-points comme dans les cortèges des Gilets Jaunes, on entend le besoin de plus de services publics, on revendique un véritable partage des richesses, une hausse des revenus des salarié.e.s et des retraité.e.s, le rétablissement de l’impôt sur la fortune, une réforme fiscale qui offre davantage de progressivité, le désir d’une réforme des institutions qui vise une plus grande horizontalité, à l’image du référendum d’initiative citoyenne : en somme, les manifestant.e.s veulent voir abolie toute forme de pouvoir qui leur a échappé.
Nous comprenons la colère qui sourd de tous les coins du pays et partageons l’esprit des revendications portées par les Gilets Jaunes. Le gouvernement paie le prix de son orthodoxie économique de soumission de l’État au marché, il paie le prix de sa politique inégalitaire, il paie le prix de l’entreprise de sape menée contre tous les acquis du programme des « Jours heureux » du CNR : attaques contre le système de protection sociale, démantèlement des services publics de proximité dans les secteurs ruraux et urbains, fiscalité injuste, politiques publiques privilégiant l’enrichissement des actionnaires au détriment de l’augmentation des salaires, sacralisation de la disruption néolibérale en lieu et place des solidarités. Il paie aussi son mépris affiché pour les corps intermédiaires et l’action syndicale qu’il a constamment cherché à discréditer en les reléguant au rang d’ornements archaïques censés jouer docilement le rôle de caution démocratique. Il en va de même pour le « grand débat national », dispositif intégralement verrouillé d’anesthésie de la colère qui ne trompe personne ; la formulation des questions y est biaisée, elle met systématiquement en balance la dépense publique et l’augmentation des impôts, et surtout elle donne l’occasion à Emmanuel Macron et à son gouvernement de trianguler le débat en y imposant des thèmes comme la laïcité et l’immigration, deux invariants des discours xénophobes qui ne sont pas portés par le mouvement social.
Face à cette colère, le gouvernement entreprend de restreindre le droit de manifester et accroît chaque semaine une répression qui a déjà fait plusieurs milliers de blessé.e.s, dont certain.e.s mutilé.e.s à vie par les armes dites à « létalité réduite » de forces de l’ordre jouant leur rôle de supplétifs d’un pouvoir qui lorgne sur la liquidation des libertés publiques et l’inflation de dispositions légales criminalisant le mouvement social : il en va ainsi d’une proposition de loi sénatoriale, reprise par Édouard Philippe, qui prévoit de sanctionner les manifestations et les rassemblements organisés sans déclaration préalable et d’interdire de manifestation des personnes préalablement fichées. Nous ne pouvons accepter le principe d’une autorisation préalable de manifestation qui constituerait une suspension du droit et porterait atteinte à nos libertés fondamentales. Nous condamnons toutes les violences policières et nous participerons à toutes les actions visant à les mettre en échec. Pour toutes ces raisons, nous exigeons l’abandon des poursuites et l’amnistie des gilets jaunes déjà condamnés pour des faits de manifestation. Nous n’entendons pas nous plier aux prémisses d’un état d’exception permanent.
Face à un mouvement constitué d’individus qui se sont révélé.e.s inassignables, rendant par là même impossible la confiscation de leurs actions par l’illusion représentative, le gouvernement a semblé tétanisé puis a tenté de trouver la parade en faisant mine de reculer : il s’est vu obligé, par exemple, d’augmenter la prime d’activité qui ne bénéficiera par ailleurs qu’à une minorité de salarié.e.s au SMIC. Mais ne nous y trompons pas : sa ligne politique est restée la même. Dans l’éventail des dispositions annoncées, toutes sont destinées à être financées par de nouvelles mesures d’austérité budgétaire qui concerneront avant tout les fonctionnaires et les services publics. Ce pouvoir césariste refuse de faire contribuer ses sectateur.rice.s, c’est-à-dire les plus fortuné.e.s et toute la ploutocratie des entreprises multinationales qui défiscalisent et délocalisent à tout crin avec à leur proue des patron.ne.s qui ne passent que trop rarement les fêtes de fin d’année à l’ombre. Face à ce pouvoir dont on a parfois l’impression qu’il ne tient plus que par la matraque, le mouvement des Gilets Jaunes n’a obtenu pour l’instant que des avancées minimes mais il a l’immense mérite d’avoir permis à des personnes de tous horizons, pour certaines peu investies ces dernières années dans les luttes sociales, d’agir ensemble dans le seul but de tenir en respect le gouvernement.
Dans l’éducation, le paradigme du pouvoir est rigoureusement le même : surdité et mépris. Malgré le mécontentement exprimé à travers une importante mobilisation des lycées en décembre dernier, Jean-Michel Blanquer poursuit la mise en œuvre de ses réformes et donne la preuve d’un autosatisfecit désolant, persuadé qu’il est d’être soutenu par une écrasante majorité des personnels, des élèves et des parents, alors même que la réalité le rattrape les rares fois où il se hasarde hors de l’espace aseptisé aménagé pour lui par une communication qui confine au télé-achat avec la complicité de médias inféodés. C’est ainsi que les élèves de seconde vont bientôt émettre leurs vœux de spécialité et vont pouvoir constater de visu la raréfaction de l’offre de formation, la mise à sac du service public d’orientation et la disparition programmée des CIO, l’évaporation de l’aide personnalisée qui ne sera plus financée ; constamment sous pression, ils.elles seront évalué.e.s de façon permanente jusqu’à un baccalauréat éparpillé façon puzzle (21 épreuves en l’espace de 2 ans !), renvoyé à la réputation de leur établissement, à raison de 40 % de la note finale. S’ils.elles parviennent à s’extirper de cette usine à gaz, ils.elles n’auront d’autre choix que de s’en remettre au tri social opéré par les algorithmes locaux de Parcoursup.
Rappelons que, dans l’académie de Créteil, la carte des spécialités annoncée le 18 décembre laisse augurer le pire : contrairement à ce que claironne à l’envi Jean-Michel Blanquer, un.e élève de seconde, cette année, sera dans l’impossibilité de suivre un parcours selon ses goûts. En effet, les spécialités lourdes ont été limitées à quelques établissements : Théâtre dans 7 lycées, Arts plastiques dans 24 lycées, Cinéma – audiovisuel dans 7 lycées, Histoire des arts dans 12 lycées, LLCA dans 17 lycées, sur un total de 112 établissements dans l’académie. Les zones les plus éloignées des centres urbains seront, par exemple, privées de toute spécialité artistique. La marge horaire ne pourra, à elle seule, dans les établissements, financer les options et les dédoublements. L’affectation des élèves de 3e en 2de l’an prochain s’annonce cauchemardesque du fait d’une carte des formations réduite à peau de chagrin au sein d’établissements surchargés, la Région accusant un retard inadmissible en matière de construction. En outre, nous n’avons reçu aucune information au sujet des séries technologiques qui continuent d’être le parent pauvre du lycée. Pour toutes ces raisons, nous revendiquons l’abrogation pure et simple de cette réforme. Au sein des collèges comme des lycées, la contestation est large et durable, ainsi que l’a prouvé la journée d’action nationale qui s’est déroulée hier, jeudi 24 janvier, malgré la tentative du ministère de minimiser l’ampleur des mobilisations par le trucage des taux de grévistes : en comptabilisant des personnels ne travaillant pas ce jour-là, le ministère affiche en effet un taux de grévistes ridiculement bas ! Nous appelons tou.te.s les collègues à ne pas se laisser bâillonner, à étendre la mobilisation et à se réunir au plus vite pour envisager des suites à cette journée par tous les moyens nécessaires !
Jean-Michel Blanquer, quant à lui, continue d’afficher un mépris sans nom pour les enseignant.e.s qu’il prétend museler à travers l’article 1 de la future loi « pour une école de la confiance » instituant une obligation de réserve qui donnerait un fondement à des mesures disciplinaires contre les personnels jugé.e.s coupables de « faits portant atteinte à la réputation du service public », formulation des plus équivoques permettant d’inclure toute forme de critique des politiques scolaires. Il entend également modifier nos obligations statutaires en nous imposant une 2e heure supplémentaire. Cette mesure qui permet avant tout de supprimer des postes va à rebours des besoins des enseignant.e.s : alléger les services et favoriser le travail collectif en donnant du temps aux équipes. Bien au contraire, elle laisse libre cours aux chef.fe.s d’établissement pour contraindre les enseignant.e.s à une nouvelle augmentation de leur charge de travail. Plutôt que des heures supplémentaires payées au rabais qui créent des inégalités entre les personnels et les épuisent, nous exigeons le dégel du point d’indice et un plan de rattrapage des salaires de tou.te.s les personnels ! C’est ainsi que l’immense majorité des demandes des « Stylos Rouges » recoupent les exigences portées depuis de longues années par le SNES-FSU. À son appel, ainsi qu’à l’appel d’autres organisations syndicales, de nombreux.ses collègues ont répondu hier dans la rue et continuent à s’organiser pour gagner sur leurs revendications.
En Seine-Saint-Denis, 20 ans après le plan de rattrapage gagné de haute lutte par les personnels, les élèves et leurs parents, MM. Macron, Philippe et Blanquer poursuivent leur plan de démantèlement du service public d’éducation dont la direction académique s’échine à appliquer consciencieusement toutes les étapes : alors qu’il est prévu 2 039 élèves supplémentaires à la rentrée prochaine, vous allouez 3 fois moins de postes (HP) que l’an passé : seulement 423 HP de plus (23,5 postes) ! L’an dernier, vous aviez donné l’équivalent d’un peu plus de 77 postes en HP pour une augmentation comparable des effectifs et nous avions jugé que cette dotation était déjà loin de correspondre aux besoins... Aujourd’hui, il faudrait une centaine de postes supplémentaires rien que pour maintenir le taux d’encadrement de 2018, déjà dégradé par plusieurs années de coupes budgétaires ! Au lieu de cela, vous distribuez deux fois plus d’HS que d’HP et demandez aux collègues d’absorber 830,5 HSA de plus de manière irraisonnée : + 14 au collège Anatole France (Les Pavillons-sous-Bois), + 15,50 au collège Gustave Courbet (Pierrefitte), + 18 au collège Paul Langevin (Drancy). Vous demandez même aux collègues du collège Marie Curie (Les Lilas) d’absorber 13,50 HSA de plus, là encore sans rapport avec le consommé des années précédentes, près de 2 fois inférieur aux préconisations de la DSDEN !
Par ailleurs, vous vous entêtez à vouloir sacrifier sur l’autel de l’austérité budgétaire les élèves et les familles les plus fragiles du département : ainsi, vous privez les élèves allophones de 2 heures de suivi ex-NF alors même que leur inclusion rencontre déjà de nombreuses difficultés. La raison en est toujours la même : vous ne pourrez pas énoncer le moindre principe pédagogique qui justifie de priver ces élèves d’heures de soutien linguistique. Votre seule logique est d’ordre comptable ! Mais n’étant pas réglementairement en mesure de déconstruire le cadre figé de la réforme du collège (26h + 3h par division), vous vous retrouvez dans le rôle peu confortable, nous vous le concédons, de gestionnaires du désastre dans l’obligation de mégoter sur tout, et notamment sur les dispositifs destinés aux élèves à besoins particuliers. Il en va de même en ce qui concerne l’accueil temporaire en interne des élèves en voie de déscolarisation et de désocialisation : les modules relais se voient amputés d’1, 2 voire 3 heures, comme au collège Pierre Sémard (Bobigny). Si vous n’abondez pas de nouveau ces dispositifs de lutte contre le décrochage scolaire à hauteur des besoins, nous nous verrons dans l’obligation de communiquer sur le fait que la direction académique de Seine-Saint-Denis choisit délibérément de saborder une grande cause nationale qui constitue l’un des fers de lance de la communication ministérielle.
En attendant, puisque nous sommes réuni.e.s aujourd’hui afin de préparer la prochaine rentrée, et avant d’aborder de manière plus détaillée la situation des établissements du département, nous avons quelques questions et observations :
Nous avons demandé à plusieurs reprises que nous soient transmis les chiffres de l’enquête sur les effectifs dite « lourde » que nous recevons d’ordinaire en novembre. Cette demande est restée lettre morte jusqu’à la veille de ce CTSD. Vous vous étiez pourtant engagé.e.s à nous fournir ces éléments dès la fin de la période des élections professionnelles. La direction académique aurait-elle choisi de prolonger sa période de neutralité ? Ou bien doit-on y voir une forme de désinvolture qui en dit long sur votre conception du paritarisme ? De notre côté, nous estimons que ce manque de transparence traduit surtout une volonté de masquer des effectifs bien supérieurs aux « repères » que l’administration s’est elle-même fixés : 23 en sensible, 24 en REP / REP + et 26 dans les établissements non classés. Nous en voulons pour preuve la très forte augmentation du E/D global (22,89 à la rentrée 2018 contre 23,29 prévus dans les documents qui nous sont soumis cette année) qui illustre la situation d’extrême tension que connaissent les effectifs dans le département. Nous observons ainsi que, cette année, dans plusieurs établissements relevant de l’éducation prioritaire, le E/D dépasse les 24 élèves sur plusieurs niveaux : c’est le cas au collège Marcel Cachin du Blanc-Mesnil (24,75 en 6e et 24,57 en 5e) et au collège Georges Brassens de Sevran (24,14 en 6e et en 4e). Dans des établissements non classés, on est parfois bien au-delà des 26 élèves par classe : au collège Jean-Baptiste Corot (Le Raincy), on atteint 27,86 élèves en 6e, 26,50 en 5e et 27,43 en 3e, avec un E/D moyen de la 6e à la 3e qui atteint 26,86 ! La direction académique se doit de reconnaître qu’elle n’est plus en mesure de tenir ses propres engagements. Par ailleurs, certaines de nos remontées de terrain font état de prévisions d’effectifs en total décalage avec les chiffres que vous avancez : ainsi, au collège Sévigné (Gagny), les classes de 4e pourraient atteindre un effectif de 28 élèves en moyenne (contre un E/D prévisionnel moyen sur ce niveau qui s’établit à 25,87 selon le document fourni par vos services), et ce alors même que des inclusions d’élèves venant de l’ULIS sont attendues sur ce niveau !
Nous avons été alerté.e.s par plusieurs collèges au sujet de la communication de la DHG aux personnels d’enseignement et d’éducation : il semblerait que de plus en plus de chef.fe.s d’établissement rechignent à transmettre la notification aux équipes (parfois même aux représentant.e.s élu.e.s !) voire refusent de les réunir à l’occasion d’une plénière pour échanger autour de la préparation de la rentrée prochaine. Nous rappelons que la dotation horaire concerne l’ensemble des personnels et ne doit en aucun cas faire l’objet d’une confiscation par les équipes de direction, encore moins servir de levier managérial visant à établir des hiérarchies intermédiaires (conseil pédagogique) et des rapports de vassalité. Nous exigeons donc que tou.te.s les chef.fe.s d’établissement aient obligation de communiquer au plus tôt la dotation horaire globale à l’ensemble des équipes et qu’elle soit systématiquement présentée et soumise au vote à l’occasion d’un conseil d’administration qui devra avoir lieu avant la date butoir de remontée des tableaux de répartition des moyens par discipline (TRMD).
Le H/E moyen a une nouvelle fois baissé dans le département (1,35 l’an passé, 1,34 cette année). Vous aviez choisi d’abonder les DHG des établissements de l’éducation prioritaire qui affichaient un H/E inférieur à 1,33. Cette année, vous avez abaissé ce seuil à 1,31. Quels sont les critères qui ont présidé à ce choix ?
Vous avez alloué 92 429 HP et 8 924 HSA en collège ainsi que 4 458 HP et 242 HSA au bénéfice des élèves de l’enseignement adapté (SEGPA). Or, les documents du CTA du 17 janvier dernier font apparaître une différence avec l’enveloppe globale allouée par la DSDEN 93 équivalant à 1 106 HP et 319 HSA. Est-ce à dire que la direction académique s’octroie une réserve de 80 ETP ? À quel usage sont-ils destinés ?
Nous vous remercions de votre attention.