Monsieur le Directeur académique, Mesdames, Messieurs,
Depuis plusieurs mois, notre pays connaît un mouvement social sans trêve. Les Gilets Jaunes continuent à manifester tous les samedis sur l’ensemble du territoire en remettant en cause la politique fiscale et sociale du gouvernement, en questionnant les formes de notre démocratie ; résistant à leur invisibilisation par le pouvoir central et ses réseaux, ils.elles exigent une hausse des revenus des salarié.e.s et des retraité.e.s, plus de services publics, un véritable partage des richesses, des conditions de vie meilleures, une politique des communs qui tient en respect la brutalité néolibérale du gouvernement, tout comme les manifestations sur la question climatique, à l’initiative de la jeunesse notamment.
Un temps, la macronie et ses habituels laquais médiatiques ont espéré que le « grand débat national », en plus de servir tous frais payés les ambitions électorales de leur camp, jouerait son rôle de couveuse médiatique visant à diffuser les tournures d’esprit et les affects susceptibles d’anesthésier la colère qui surgissait dans le pays. Ils.Elles en ont été pour leurs frais. Le pouvoir en place n’est pas parvenu, cette fois-ci, à maintenir la disponibilité générale à la régression et le goût de la dépendance que, depuis des lustres, quasi toutes les formes de représentation se sont fait fort d’imposer à la population. Le gouvernement entreprend désormais de mater le débordement général en usant d’un arsenal législatif restreignant le droit de manifester et en accroissant chaque semaine la réponse répressive qui a déjà fait plusieurs milliers de blessé.e.s, dont certain.e.s mutilé.e.s à vie par les armes dites à « létalité réduite » de forces de l’ordre jouant leur rôle de supplétifs d’un pouvoir qui lorgne sur la liquidation des libertés publiques et l’inflation de dispositions légales criminalisant le mouvement social : il en va ainsi de la loi « anti-casseurs » qui prévoit de sanctionner les manifestations et les rassemblements organisés sans déclaration préalable et d’interdire de manifestation des personnes préalablement fichées. Nous ne pouvons accepter le principe d’une autorisation préalable de manifestation qui constituerait une suspension du droit et porterait atteinte à nos libertés fondamentales. Nous condamnons toutes les violences policières et nous participerons à toutes les actions visant à les mettre en échec. Pour toutes ces raisons, nous exigeons l’abandon des poursuites et l’amnistie des Gilets Jaunes déjà condamné.e.s pour des faits de manifestation. Nous n’entendons pas nous plier à un état d’exception permanent qui autorise désormais la mobilisation des militaires de la force Sentinelle pour contribuer à une opération de maintien de l’ordre devenue un mode de gouvernement.
Ne nous y trompons pas : Emmanuel Macron et les nervis de la start up nation n’ont aucune intention de renoncer à leur programme de démolition de l’ensemble des acquis sociaux. Le.La fonctionnaire, cet.te infâme « privilégié.e » responsable de la dépense publique, voilà l’ennemi.e ! Le pouvoir a d’ores et déjà décidé de réduire drastiquement leur nombre, balaie toute idée de revalorisation salariale, tente d’étouffer leurs organisations syndicales à travers la liquidation du paritarisme, s’échine à atomiser les personnels et à dissoudre toute velléité d’organisation collective en jouant sur les appétits individuels et la mise concurrence de tou.te.s contre tou.te.s.
C’est ainsi que s’annonce, dans le projet de réforme de la fonction publique qui constitue une attaque sans précédent contre les droits des personnels, une restriction drastique des compétences des commissions administratives paritaires (CAP) qui ne seraient plus consultées qu’en cas de recours contre des décisions sur lesquelles les organisations représentatives n’auraient plus, quoi qu’il en soit, aucun droit de regard. La gestion des carrières, des mutations ne seraient plus étudiées en CAP, laissant les collègues isolé.e.s face à l’administration et faisant ainsi place à l’arbitraire le plus total au sein de l’ensemble de la chaîne hiérarchique, des recteur.rice.s jusqu’aux chef.fe.s d’établissement. Le projet de loi instituant un recours accru aux contractuel.le.s permettrait aussi la mise en place d’un « salaire au mérite » afin de transformer les fonctionnaires en agents économiques bien conformés et corvéables à merci. Ce projet n’est ni plus ni moins qu’un projet inédit d’éclatement du statut de 1946 (pourtant renforcé par la loi de juillet 1983) visant à réintroduire le principe d’un.e fonctionnaire sujet.te en lieu et place d’un.e fonctionnaire citoyen.ne au service de l’intérêt général. C’est donc tout un modèle social qui est dans le viseur.
« Le fonctionnaire est un être de silence : il sert, il travaille, il se tait » : au sein de l’actuel gouvernement, Jean-Michel Blanquer semble avoir mieux que personne fait sien l’adage de Michel Debré, lui qui prétend museler les fonctionnaires de l’éducation à travers l’article 1 de la future loi « pour une école de la confiance » instituant une obligation de réserve qui donnerait un fondement à des mesures disciplinaires contre les personnels jugé.e.s coupables de « faits portant atteinte à la réputation du service public », formulation des plus équivoques permettant d’inclure toute forme de critique des politiques scolaires. En outre, cette loi s’attaque aux fondements du système éducatif et permet l’instauration d’une école assujettie à une idéologie néolibérale teintée de déterminisme proto-scientifique et marquée par la dérégulation. Elle institue des écoles du socle réunissant les écoles élémentaires et les collèges qui visent à dispenser un savoir minimal tout en favorisant l’enseignement privé. Elle permet de nombreuses expérimentations, à l’instar des EPLEI destinés à accueillir les réfugié.e.s... du Brexit ! Ce texte de loi doit être combattu : le SNES-FSU en exige le retrait immédiat.
La mise en place de la réforme des lycées se poursuit et confirme chaque jour un peu plus nos premières analyses. Tou.te.s les élèves ne pourront accéder à l’ensemble des enseignements de spécialité puisqu’ils n’existeront pas dans l’ensemble des lycées : cette situation est particulièrement prégnante dans l’académie de Créteil. Ce seront finalement les conseils de classe du troisième trimestre de seconde qui répartiront les élèves dans les futures spécialités de première, en fonction de leurs vœux mais aussi des places disponibles. Quant au nouveau baccalauréat territorialisé, on navigue littéralement à vue : la réforme se met en place dans une telle précipitation que les inspections sont obligées d’adapter en catastrophe, en cours d’année, les actuels programmes de seconde pour qu’une cohérence puisse exister entre les différents niveaux, comme ce fut le cas récemment dans les disciplines scientifiques (SVT et physique- chimie). Face à l’inquiétude des élèves et des parents, face à la colère des enseignant.e.s, le ministère de la Confiance tente de verrouiller la contestation et d’imposer son régime discursif de post-vérité : dans plusieurs départements, dont la Seine-Saint-Denis, les chef.fe.s d’établissement ont reçu pour consigne d’empêcher la tenue de réunions sur la réforme du lycée, comme au collège Pierre de Geyter, à Saint-Denis. Lors des nuits d’occupation des établissements qui se sont succédé sur l’ensemble du territoire, les rectorats et les directions académiques ont systématiquement cherché à intimider les occupant.e.s. Nous continuons à exiger l’abrogation de cette réforme, l’ouverture de négociations pour une autre réforme du lycée, ainsi que la fin de Parcoursup et l’abrogation de la sélection à l’entrée à l’université. Nous revendiquons également le maintien d’un véritable service public d’orientation face aux fermetures de CIO, à la casse de l’ONISEP et au transfert des DRONISEP aux régions. Nos collègues PsyEN et DCIO ont d’ailleurs été nombreux.ses à manifester hier à Paris pour lutter contre la privatisation rampante du service public d’orientation, contre la précarité des personnels, des locaux, des budgets.
Pièce à pièce, nous voyons le projet pour l’école de Jean-Michel Blanquer prendre forme et confirmer nos pires craintes, à l’image des annonces sur la réforme de la formation initiale des personnels d’enseignement et d’éducation. Nous y humons les remugles de la politique destructrice menée entre 2010 et 2011 : stagiaires à temps plein devant les élèves après la réussite au concours pour économiser un nombre de postes équivalent à celui ouvert aux concours, « pré-recrutement », sous forme de contrats d’AED, d’étudiant.e.s dès la L2 pour assurer dans les établissements une charge de travail croissante et remplacer ponctuellement les enseignant.e.s absent.e.s, toutes les recettes confites de logique managériale déjà élaborées par Jean-Michel Blanquer lorsqu’il était Directeur général de l’enseignement scolaire, nous sont resservies au mépris des conditions de travail des futur.e.s enseignant.e.s et CPE dont l’actuel ministre de l’éducation opère chaque jour un peu plus le démantèlement des métiers en nous confinant à un rôle de simples exécutant.e.s.
En Seine-Saint-Denis, la direction académique ne cesse de répéter à l’envi qu’elle « assume » et « porte » les orientations gouvernementales.
Vous devrez donc assumer que pour 2 000 élèves en plus dans les collèges du département à la rentrée 2019, vous ne créez que deux postes alors qu’il faudrait une centaine de postes supplémentaires rien que pour maintenir le taux d’encadrement de 2018, déjà dégradé par plusieurs années de coupes budgétaires ! Au lieu de cela, vous distribuez deux fois plus d’heures supplémentaires (HS) que d’heures postes (HP) et demandez aux collègues d’absorber 830,5 HSA de plus de manière irraisonnée, c’est-à-dire l’équivalent de 46 ETP !
Vous devrez donc « assumer » la dégradation des conditions de travail de nos collègues, la multiplication des BMP dans le département en lieu et place de moyens pérennes destinés à renforcer la stabilité des équipes. Contrairement à ce que vous affirmiez à l’occasion du comité technique de janvier, vous obéissez à une logique strictement comptable : aux établissements qui manifestent leur incompréhension, leur colère face à la baisse des dotations horaires et des moyens humains, vous réservez sans cesse les mêmes réponses, les mêmes éléments de langage dilatoires, le même ton affecté. Nous sommes au regret de vous dire qu’en Seine-Saint- Denis, le dialogue social est en passe d’être rompu. C’est le sens des mobilisations qui s’amplifient à travers le département dans les établissements de Montreuil, Bagnolet, Saint-Denis, Bondy, Drancy, La Courneuve ou encore Gagny. À ce titre, la journée de mobilisation interprofessionnelle du 19 mars dernier a été un succès et a permis de rassembler de nombreux.ses collègues pour dénoncer les attaques que subit la fonction publique, et singulièrement l’école. La FSU est d’ailleurs à l’initiative d’un autre rendez-vous de mobilisation dédié à l’éducation, samedi 30 mars prochain, qui se déclinera aussi bien au niveau local qu’au niveau national. Partout, et ce même dans des secteurs du département qui ne sont pas habituellement à la pointe des mobilisations, des établissements s’organisent, des collègues se mettent en grève, ce qui devrait constituer pour la direction académique un signal d’alerte des plus sérieux : les démissions de professeur.e.s principaux.ales, le refus d’organiser les examens blancs, l’abandon des projets, le boycott de plus en plus récurrent du programme Devoirs faits, rien de tout cela n’est anodin non plus : au contraire, vous portez une lourde responsabilité et êtes comptable de l’exaspération et de la lassitude de nos collègues et, de ce fait, vous devez envisager ce mouvement de fond avec le plus grand sérieux. De nombreux.ses enseignant.e.s du département, devant l’indifférence et le mépris affichés par l’institution, ont en effet décidé de déserter certaines tâches ou responsabilités qu’ils.elles choisissaient auparavant d’endosser.
Avant d’aborder de manière plus détaillée la situation des établissements du département, nous avons quelques questions et observations :
• Dans plusieurs établissements, nous avons constaté de réelles disparités entre les documents soumis par la direction en CA et les documents qui nous ont été transmis dans le cadre de la préparation des deux derniers CTSD : effectifs bien au-delà des « repères » que la direction académique s’est elle-même fixés, suppression d’un ou de plusieurs postes sans information préalable des représentant.e.s des personnels. Comment cela est-il possible alors même que vous vous étiez engagé, suite à notre intervention le 25 janvier dernier, à demander aux chef.fe.s d’établissement la plus grande transparence quant à la préparation de la rentrée prochaine ?
• Nous tenons à souligner que de nombreux établissements qui vous ont interpellé évoquent la question des moyens de vie scolaire (CPE, AED, APS). Nous vous demandons donc, au nom du SNES-FSU 93, d’y prêter une attention toute particulière dans la perspective du
prochain comité technique de juin : si d’aventure les revendications des établissements ne sont pas satisfaites, soyez assuré.e.s que le SNES-FSU 93 prendra ses responsabilités et appellera nos collègues à se mobiliser par tous les moyens nécessaires ;
• Le document complémentaire qui synthétise les mesures de carte scolaire ne laisse pas de nous interroger : il y est fait mention à plusieurs reprises des souhaits de mutation intra- académique des collègues en poste. Comment la DSDEN s’est-elle procuré les souhaits de mutation des enseignant.e.s concerné.e.s ? Qu’advient-il si l’enseignant.e ne donne en définitive pas suite à sa demande de mutation ou n’obtient tout simplement pas la mutation souhaitée ? Doit-on désormais inviter les collègues à rester discret.e.s sur leur projet de mutation pour leur éviter d’encourir une mesure de carte scolaire qui, par ailleurs, pourrait tout aussi bien concerner un.e autre collègue, victime collatérale de cette logique d’austérité budgétaire dont la seule obsession est la suppression d’un nombre suffisamment conséquent de postes pour adhérer aux objectifs gouvernementaux ?
Pour finir, nous tenons à vous avertir avec gravité : si, comme vous le prétendez, la réunion de cette instance consultative vise à améliorer les conditions de travail de nos collègues et d’accueil des élèves afin d’assurer la réussite de tou.te.s au sein du service public d’éducation, vous devez cesser de considérer les organisations syndicales comme de simples chambres d’écho des orientations discrétionnaires de la rue de Grenelle. Nous vous demandons de prendre des engagements qui devront sans délai se matérialiser en termes de moyens horaires et humains ; nous réitérons ici notre revendication d’un plan de développement pour l’éducation en Seine-Saint-Denis. Si nous ne sommes pas entendu.e.s, nous refuserons à l’avenir de nous plier à un exercice dont nous avons la désagréable impression d’être peu à peu devenu.e.s les dupes.
Nous vous remercions de votre attention.