Madame la Ministre,
Face à l ?opposition catégorique de nombreux professionnels de l ?éducation : professeurs, du primaire à l ?université, chercheurs, écrivains, journalistes ou scientifiques, jusqu ?à l ?Académie Française tout entière, vous avez fait adopter en mai dernier par décret votre réforme du collège sans prendre en compte leur avis éclairé et pertinent.
Vous affirmez tirer votre légitimité du « terrain ». Ce terrain, c ?est nous et, avec des dizaines de milliers de collègues, nous nous inscrivons en faux contre cette affirmation. D ?abord parce qu’il n’a été ouvert à son sujet aucun véritable débat, ensuite dans la mesure où cette réforme nous semble remettre en question des grands principes sur lesquels est basée notre école publique, et enfin parce que cette réforme nous semble, à maints égards, inapplicable dans le cadre réel d ?un collège.
L’une des principales ambitions de la réforme est de réduire les inégalités sociales, l’école ne semblant pas jouer son rôle dans ce domaine. Nous ne nions pas ce constat. Nous sommes cependant convaincus que ce n’est pas ainsi que nous arriverons à nos fins, et, bien au contraire, il nous semble évident que votre réforme creusera encore ces inégalités pour les raisons suivantes :
L’instauration des EPI allant de pair avec une autonomie des établissements, c’est évidemment la porte ouverte aux disparités nationales : les enseignements ne seront plus les mêmes au sein des collèges. Cela va à l’encontre de l’idée même d’Education Nationale !
Les EPI ne vont pas sans une baisse des horaires disciplinaires fondamentaux. Or, si l’interdisciplinarité nous semble être une idée intéressante, elle ne peut qu’être un espace d’application. Ce n’est pas ainsi que nous allons pallier les difficultés des élèves.
Les IDD, mis en place il y a quelques années, ressemblaient beaucoup à ces EPI et ils ont été supprimés... Par conséquent, qu’adviendra-t-il de nos horaires disciplinaires, si les EPI connaissent le même sort ?
– La suppression des "options sélectives", telles que sont présentés, le latin, le grec, les sections bilangues, la DP3, ainsi que la disparition prévisible de l ?Allemand, n’assureront pas une plus grande égalité entre les élèves. En réalité c ?est l’appauvrissement d ?une offre d ?enseignements variés, offerts à tous les élèves, quels que soient leurs milieux sociaux, qui est mis en ?uvre, sans parler de la fuite des élèves vers les établissements privés. Est-ce cela la démocratisation ?
– Avec 2h30 d ?enseignement en LV2 de la 5e à la 3e, au lieu de 3h hebdomadaires en 4e et 3e, les élèves ne disposeront pas du temps nécessaire chaque semaine pour assimiler les structures de la langue apprise en LV2. Et pourtant, on connaît l’importance de l’exposition à la langue en début d’apprentissage, et on s’alarme du niveau des élèves français en langues étrangères...
La mise en place de cette réforme va être très compliquée : comment mettre en place ces EPI dans des établissements comme le nôtre avec des équipes qui se renouvellent chaque année ? Comment gérer, avec cet agenda si serré et sans temps de concertation, ces nouvelles pratiques tout en revoyant le contenu des programmes sur chaque niveau ?
Vous connaissez les réels besoins du collège énoncés depuis des années par tous les professionnels : effectifs à réduire, encadrement humain proportionnel au nombre d ?élèves, retour à une vraie formation des enseignants, projets interdisciplinaires en complément et non au détriment des enseignements fondamentaux.
Des heures disciplinaires en moins, des enseignements qui disparaissent, de la transdisciplinarité sans temps de concertation pour les enseignants... cette réforme ressemble davantage à de l ?austérité qu ?à une volonté de créer un collège public plus ambitieux.
Nous ne voulons pas obéir à des logiques économiques remettant en question la grande idée que nous nous faisons de notre fonction.
Nous ne sommes pas des réactionnaires, nous ne sommes pas des élitistes, nous travaillons pour la réussite de tous et c ?est au nom de cet idéal que nous refusons d ?anticiper en quelque manière que ce soit la mise en ?uvre de cette réforme.
Nous vous saluons, Madame la Ministre, comme représentante d ?un Etat dont nous avons une haute idée.
Les professeurs du collège de l ?Europe, Chelles.