Les personnels de collège ont accueilli avec beaucoup de circonspection l’annonce de la refonte du Socle commun début juin, accompagné d’une rumeur ? restée sans suite ? de suppression du DNB. Les articles ont fleuri dans la presse depuis lors, donnant souvent une lecture trompeuse du débat engagé au sein de la profession depuis la loi de 2006, instituant le socle et le livret de compétence. Il n’est pas inutile d’en rappeler ici les principaux traits.
L’article du Monde insiste sur le fait que le nouveau texte, s’il ménage la susceptibilité des enseignants sur le fond, ne règle rien sur la forme que doit revêtir l’évaluation. En d’autre terme, la réécriture du socle serait anecdotique car la critique enseignante porterait avant tout sur la forme de l’évaluation par compétence - à savoir l’usage du LPC - et non sur le fond - c’est-à-dire, le contenu et la finalité de nos enseignements. C’est une présentation très spécieuse, pour ne pas dire mensongère du problème, car depuis que les personnels débattent de cette question, les opposants au socle commun ? dont nous sommes - ont toujours essayé de tenir le problème par les deux bouts. Nous avons en effet toujours ferraillé sur deux fronts : sur le fond, contre le socle et sur la forme, contre le LPC.
Contre un « saucissonnage » du savoir et une conception utilitariste des contenus scolaires.
Sur la forme, nous sommes opposés au saucissonnage du savoir et de l’évaluation par le LPC en raison de son incohérence et de son caractère proprement inopérant ? comme l’inaptitude de l ??ducation Nationale à le mettre en ?uvre l’a démontrée.
Sur le fond, nous sommes en désaccords avec le socle commun telle que la loi de 2006 l’envisage, car il est idéologiquement très clivant. Il entérine une conception néolibérale et utilitariste des contenus scolaires à la seule fin de former une main d ??uvre employable, précaire et flexible, pour répondre aux besoins du marché de l’emploi. Il assujettit l’école aux attentes du monde économique, qui a toujours cherché à redéfinir les contenus scolaires en s’alignant sur le moins-disant. D’où le risque soulevé par les opposants à cette loi, d’une recomposition des exigences scolaires selon une perspective étroitement utilitariste, où seul ce qui est rentable et mesurable économiquement est enseigné ? et la crainte d’une aggravation de la perte de légitimité de l’école et des savoirs formalisés qu’elle continue de vouloir transmettre.
Des options idéologiques inchangées.
Deux années passées à la tête de l’exécutif permettent de se faire une idée on ne peut plus claire des orientations idéologiques de l’actuel gouvernement. Celles-ci ne constituent en rien une rupture, ni même un changement avec les orientations des gouvernements antérieurs. En entérinant le TSCG au lendemain de son élection, le Président Hollande ne s’est pas seulement coupé de son peuple, il a aussi affiché clairement l’orientation néolibérale de sa politique. Le blanc seing donné au MEDEF depuis lors, pour démanteler la branche famille de la Sécurité sociale au motif fallacieux de stimuler l’emploi et la croissance parle de lui-même.
Ainsi, derrière la façade enjôleuse du nouveau socle commun ? propre à leurrer les plus naïfs ? le gouvernement semble dissimuler ses véritables intentions. Il a cherché à redéfinir le socle d’après le contenu des programmes et non modifier les programmes d’après les exigences antérieures du socle. Mais cela ne signifie en aucun cas que la nature très clivante du sens accordé à l’éducation par le projet européen ait été oubliée. Ce dernier en demeure la matrice : il vise à procéder à l’ajustement des structures scolaires dans le sens souhaité par les principales institutions de commandement économique ? UE, OCDE et OMC en tête.
La stratégie change, l’objectif politique demeure
Ainsi l’objectif politique demeure, c’est la stratégie qui change : on passe d’une « guerre de mouvement » à une « guerre de position ». En somme, le ministère a tiré les leçons de son échec à vouloir imposer le socle en bloc, en une seule offensive, par les chefs d’établissement. L’inertie opposée par les enseignants a une raison de cette tentative.
C’est une nouvelle étape qui s’annonce et qui ressemble bien d’avantage à une « guerre de position » - faite de places à conquérir avec toute la patience et la lenteur nécessaire - discipline par discipline, niveau par niveau. Le ministère a donc choisi de ne pas s’opposer frontalement à la profession, mais d’imposer ses desiderata, matières par matières, dans la façon de concevoir et d’appliquer les programmes. La verticalité, l ?asymétrie des rapports entre enseignant et IPR fera le reste. Le recours aux hiérarchies multiples et protéiformes "de terrain" pour conduire avec le maximum d’efficacité des réformes structurelles contre toute forme de résistance, est une constante de la gestion des ressources humaines.