Au lendemain du second tour des régionales, Nicolas Sarkozy se déclare prêt à combattre « la violence dans les stades, les transports et les établissements scolaires », ces rapprochements sont inquiétants. Ces propos présidentiels font suite aux évènements graves survenus dans plusieurs établissements ces derniers mois. Cette violence a polarisé l’attention des médias, au moment même où se développait un mouvement de contestation des réformes dans les collèges et les lycées de Seine-Saint-Denis (suppression de postes, formation des enseignants sacrifiée, réforme des lycées). A la suite de ces évènements, le ministre prend la décision d’annoncer la tenue d’Etats généraux de la sécurité à l’école pour ouvrir « une réflexion globale sur la violence ». C’est dans ce contexte que notre établissement est choisi par une équipe de tournage de France 2 pour illustrer la vie quotidienne d’un collège ZEP. Cette équipe obtient l’autorisation de filmer pendant une semaine en s’immergeant dans la vie de notre collège afin de réaliser une série de courts reportages. Ce n’est pas la première fois que notre établissement est sollicité par un média télévisé. Certains d’entre nous craignent l’effet de prisme déformant que peut engendrer un traitement médiatique de notre quotidien accompagnant un risque inhérent de stigmatisation et dressent le constat suivant : ces dernières années, par leurs travaux, les chercheurs en pédagogie et les sociologues ont contribué à mettre en lumière les causes profondes et complexes ainsi que les mécanismes qui sous-tendent l’émergence de la violence à l’école. Par exemple, la faible mixité sociale ou le regroupement des élèves de bon niveau dans les mêmes classes reviennent à reproduire les inégalités observées en dehors de l’école alors que le système éducatif est chargé de les corriger. Malgré des intentions louables et le souci de retranscrire la vérité qui guident les auteurs de ces reportages, il nous semble que cette démarche met à distance du téléspectateur les causes qui produisent cette violence : celles-ci sont complexes et l’ ?il de la caméra n’en saisit que l’écume, n’en appréhende que des fragments. Dépeindre l’immédiateté de certaines situations ne permet pas de faire le lien entre les différents facteurs qui expliquent ces phénomènes. Par ailleurs, certains d’entre nous refusent d’être à nouveau perçus comme l’établissement qui a « trouvé des recettes » contre les grandes difficultés scolaires. En effet, même si des dispositifs mis en place proposent des pistes comme la prise en charge des élèves exclus, ces derniers ne peuvent remplacer des réponses formulées en amont, le nombre élevé de conseils de discipline et d’exclusions définitives prononcées depuis le début de l’année scolaire dans notre collège nous le rappellent. Par ailleurs, les fermetures répétées de classes, conséquences des suppressions massives de postes renforcent des inégalités scolaires génératrices de violence. Dans ce contexte, les perspectives sont inquiétantes pour la prochaine rentrée : en cumulant les suppressions de postes et l’arrivée de jeunes enseignants non formés dans les établissements les conditions sont réunies pour aviver la violence sociale latente qui gangrène nos territoires. Mettre ces jeunes professeurs non formés face à des classes revient à les placer en situation de danger, la transmission du savoir est le pivot sur lequel l’enseignant s’appuie et légitime son autorité, la fragilité dans ce domaine ne pardonne pas devant une classe difficile. Pour nous, des états généraux sur la sécurité ne constituent donc pas la réponse adaptée. Lutter contre la violence à l ?école passe tout d ?abord par le maintien des moyens humains : des adultes correctement formés et en nombre suffisant dans les établissements pourront assurer un service public de qualité dans les quartiers défavorisées. Dans ce contexte, un nouveau traitement médiatique de cette réalité ne peut se substituer à un discours de fond.
8 avril 2010