Présenté en grande pompe lors de la conférence de rentrée du Ministre Blanquer, le dispositif « Devoirs Faits » s’est généralisé à l’ensemble des collèges de notre académie, après les vacances d’automne. Au motif d’ « améliorer la synergie entre les temps de classe et les devoirs » ; « de rendre explicites les attendus des "devoirs" » ou de « favoriser la continuité et la cohérence entre le temps scolaire et le temps familial et périscolaire » ( 1) , des moyens considérables ont été octroyés en toute opacité aux établissements. Au moment où les DSDEN annoncent des DHG (Dotations Horaires Globales) considérablement rabotées, insuffisantes pour absorber la forte croissance démographique de nos trois départements (94, 93, 77), cette sur-dotation doit-elle être comprise comme un simple coup de communication ministérielle ou annonce-t-elle des changements plus profonds ?
Des moyens fléchés énormes et opaques pour financer des heures d’études surveillées
Dans la majorité des établissements de l’académie, dès le retour des vacances d’automne, les équipes éducatives ont été lourdement sollicitées pour effectuer des heures supplémentaires. Ces moyens, octroyés hors DHG en toute opacité et sans aucune garantie quant à leur pérennité, sont apparus comme un moyen de faire assumer par des enseignants, des heures d’études surveillées. Le Ministère tentait alors de désamorcer, par un exercice de communication bien rôdé, la polémique qui s’était développée avec la suppression sèche des emplois aidés (CUI) dans l’Éducation Nationale.
Lors des réunions paritaires consultatives pour la rentrée 2018-2019 (CTSD), les représentants du SNES-FSU 94 et 77, ont obtenu de leurs DSDEN respectives, le montant global des enveloppes octroyées, lequel s’avère énorme. Qu’on en juge. Dans le Val-de-Marne, la dotation « devoirs faits » du département se fera en 2 versements : un, courant janvier à juin d’un montant total de : 24 620h, et un 2e pour septembre à décembre 2018 de 27 570h - soit environ dix heures supplémentaires hebdomadaires attribuées hors DHG pour de l’étude surveillée à chaque établissement du 94. La situation est plus criante encore dans le 77, où 52 000 heures ont été octroyées pour couvrir les 24 semaines de cours (de janvier à juin) des 128 établissements Seine-et-Marnais – soit 20 h hebdomadaires supplémentaires octroyées en moyenne à chaque établissement – c’est-à-dire presque l’équivalent d’une division supplémentaire par établissement. Avec une pudeur de gazelle, la DSDEN 93 s’est refusée à nous communiquer le montant de son enveloppe.
Mais à l’heure où tous les collèges de l’académie en sont réduits à supprimer des classes ou à ne pas en créer lorsque leurs effectifs sont pléthoriques, où le gouvernement se prépare par ailleurs à accélérer « la réforme de l’État », de tels choix ont de quoi nous interroger, sinon nous inquiéter.
Une dévalorisation objective de la fonction et des missions des enseignants
Car, rappelons-le, le dispositif « Devoirs Faits » n’est pas une aide aux devoirs, c’est seulement une heure d’étude surveillée. À ce titre, si le choix des professeurs doit être privilégiée par les directions d’établissements, rien ne les empêche de recruter des CPE, des AED, voire de faire appel à des « associations agréées » ou à « des volontaires du service civique ».
Pareille assimilation des missions des enseignants à celles d’associations bénévoles et non-professionnelles traduit la vision que l’on se fait de notre métier, rue de Grenelle. Par la dégradation objective des conditions de rémunération et de travail, le Ministère œuvre à la prolétarisation rampante de la profession, laquelle permet en retour de proposer des tâches de surveillance aux enseignants, accélérant un peu plus la dévalorisation objective de leur fonction. Ainsi, ce dispositif permet de se faire une idée on ne peut plus claire des nouvelles « missions liées » que devraient inclure nos services selon M. Blanquer : la surveillance des élèves hors de nos heures d’enseignements, de préparation et de correction.
Œuvrer à la baisse du « coût du travail »
Car pour le ministère, l’enjeu dépasse largement le seul cadre de ce que ce dispositif prétend être. En intégrant les heures d’études surveillées dans nos services, à terme sans compensation salariale, l’État-employeur entend non seulement dissimuler la suppression sèche des emplois aidés, mais prétend également œuvrer - en terme idéologique - à la baisse du « coût du travail » par la dévalorisation de notre métier et de la qualification qui y est attachée. Vis-à-vis de l’opinion, ce dispositif permet de laisser penser qu’on peut accroître indéfiniment la charge de travail des enseignants sans que cela ait d’impact sur la qualité de l’enseignement dispensé – étant entendu que nous ne travaillons pas assez. Pour les usagers enfin, ce dispositif laisse entendre que les effets délétères de l’inflation des effectifs par classe pourraient être compensés par des heures d’études surveillées, notamment pour les élèves en difficulté.
À usage interne, enfin, l’attribution de moyens en toute opacité a vocation à accentuer la verticalité du pilotage de l’Éducation Nationale, en fixant des objectifs chiffrés aux équipes de directions pour attribuer ces moyens – qui permettront à n’en pas douter d’ici peu de temps de leur attribuer des primes « au mérite »… celui d’œuvrer à la dégradation du service public, en facilitant sa privatisation.