S’il est une constante dans les conflits sociaux, c’est bien la volonté des pouvoirs publics de faire taire leurs contradicteurs. La récente mobilisation contre la réforme du collège n’échappe pas à la règle. En témoigne, un courriel menaçant d’un principal à l’ensemble des personnels d’un collège de Seine-et-Marne au sujet d’une réunion publique d’information. Cette tentative d’intimidation traduit une préoccupation des pouvoirs publics : museler la parole enseignante dans le débat d’idée. Petite mise au point sur l’exercice du droit syndical dans l ??ducation Nationale à propos du soi-disant « devoir de réserve ».
« L ?obligation de réserve ne figure pas dans le statut des fonctionnaires »
Utiliser la loi de 1983 pour imposer une obligation de réserve aux fonctionnaires, alors même que cette loi prévoit l’abrogation de cette disposition, il fallait tout de même oser. Il faut croire que la formation des chefs d’établissements est à ce point insuffisante, qu’elle néglige désormais l’indispensable formation juridique des autorités hiérarchiques. Or les droits et obligations des fonctionnaires d ??tat sont définis par la Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, laquelle ne prévoit aucune notion de « devoir de réserve ». Invoquer un quelconque « devoir de réserve » en se référant à ce texte revient donc explicitement à lui faire dire le contraire de ce qu’il dit.
Voici en effet ce qu’écrivait l’ancien ministre communiste de la Fonction publique, Anicet Lepors, dans une tribune accordée au journal Le Monde, le 1er février 2008 à propos de cette loi : « J ?ai rejeté à l ?Assemblée nationale le 3 mai 1983 un amendement tendant à l ?inscription de l ?obligation de réserve dans la loi en observant que cette dernière ?est une construction jurisprudentielle extrêmement complexe qui fait dépendre la nature et l ?étendue de l ?obligation de réserve de divers critères dont le plus important est la place du fonctionnaire dans la hiérarchie ?? et qu ?il revenait au juge administratif d ?apprécier au cas par cas. Ainsi, l ?obligation de réserve ne figure pas dans le statut général et, à ma connaissance, dans aucun statut particulier de fonctionnaire [??] »
Les fonctionnaires d’autorité seuls concernés
Il en découle que les seuls fonctionnaires pour lesquels peut s ?appliquer une injonction de réserve, sont les « fonctionnaires d ?autorité » qui, placés à un poste hiérarchique de leurs services, ne sont pas libres de leurs expressions dans la mesure où leurs propos personnels pourraient, du fait de leurs fonctions, être compris comme étant la position du service public qu ?ils représentent. Les enseignants n ?en font pas partie.
Pour autant, en tant que fonctionnaires, ces derniers doivent faire preuve de « discrétion professionnelle » pour tous les éléments dont ils ont connaissance dans l ?exercice ou à l ?occasion de l ?exercice de leurs fonctions. En tant que fonctionnaire, un professeur ne doit pas divulguer des informations scolaires, sociales ou familiales concernant ses élèves, par exemple. Mais ce devoir de « discrétion professionnelle » n’a rien à voir avec le devoir ? ou plutôt l’obligation ? à laquelle fait allusion le courriel précité. Dans ce cas de figure, le chef d’établissement semble faire référence à une disposition statutaire qui interdirait aux enseignants d’exprimer publiquement leurs opinions personnelles que ce soit à titre politique ou syndical - en dehors de leur temps de service proprement dit, or il n’en est rien.
La liberté d ?opinion est garantie aux fonctionnaires
Dans le cadre de ses missions, le fonctionnaire a le devoir de neutralité et de laïcité. Mais en tant que citoyen, tout fonctionnaire dispose de la liberté d’expression, de la liberté d’association politique ou syndicale, du droit de grève et de manifestation. Dans la presse, dans les réunions syndicales, en conseil d’administration, dans les rencontres avec les fédérations de parents d’élèves, sa parole est libre. L ?article 6 de la loi du 13 juillet 1983, l ?exprime de manière on ne peut plus simple : « La liberté d ?opinion est garantie aux fonctionnaires. »
Pour Anicet Lepors, la loi est sans ambiguïté : « Dans les années 1950, Michel Debré donnait sa définition : "Le fonctionnaire est un homme de silence, il sert, il travaille et il se tait", c ?était la conception du fonctionnaire-sujet. Nous avons choisi en 1983 la conception du fonctionnaire-citoyen en lui reconnaissant, en raison même de sa vocation à servir l ?intérêt général et de la responsabilité qui lui incombe à ce titre, la plénitude des droits du citoyen. »