17 octobre 2007

actu des établissements

Les enseignants du lycée Olympe de Gouges de Noisy-le-Sec expliquent pourquoi ils ne liront pas la lettre de Guy Môquet

Enseignants au lycée Olympe de Gouges de Noisy-le-Sec, nous refusons de lire la lettre écrite par Guy Môquet juste avant son exécution. Ce refus ne provient nullement d’une opposition de principe mais apparaît comme la conséquence d’une volonté mûrement réfléchie : si nous ne la lisons pas, c’est parce que nous sommes attachés à notre métier, à notre matière, à nos élèves et que nous pensons que la lecture de cette lettre présente des dangers à plusieurs niveaux.

UN PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE NE DOIT PAS DONNER DES CONSIGNES SUR LA MANIERE D’ENSEIGNER L’HISTOIRE

L’Histoire doit être écrite par des historiens travaillant en toute indépendance et cherchant à offrir une vision la plus objective possible du passé, avec un esprit critique et nuancé, évitant toute approche passionnelle et idéologique. Les programmes d’Histoire et la manière d’enseigner l’Histoire doivent être établis en concertation entre historiens et enseignants. Fixer des directives aux enseignants en leur demandant d’enseigner des thèmes sous un angle particulier (« la colonisation a aussi eu des aspects positifs ») ou en panthéonisant certains personnages dans les programmes (ce que revient à faire la lecture de la lettre de Guy Môquet) contribue à enlever à l’Histoire ses caractéristiques essentielles (objectivité, esprit critique, approche nuancée). Il ne s’agit alors plus d’Histoire mais de mythologie.


LA LETTRE DE GUY MOQUET NE PRESENTE AUCUN INTERET HISTORIQUE ET PEDAGOGIQUE

« 17 ans et demie, ma vie a été courte, je n’ai aucun regret si ce n’est de vous quitter tous. Je vais mourir ?? » Si elle peut déclencher une certaine émotion, la lettre écrite par Guy Môquet au camp de Châteaubriant le 22 octobre 1941, quelques heures avant son exécution, n’a absolument aucun intérêt sur le plan historique ou pédagogique. Cette lettre est une simple lettre d’adieu d’un adolescent qui s’apprête à mourir. Il n’y est nullement fait mention des activités qui ont amené Guy Môquet à être arrêté, de sa vision de la France et de la résistance face à l’occupant. Pourquoi, si cette lettre était si importante sur le plan historique et pédagogique, ne figure-t-elle dans quasiment aucun manuel d’histoire de classe de première ?
Le choix des documents doit appartenir aux enseignants et les documents doivent être insérés dans des séquences permettant de les contextualiser. La Seconde Guerre mondiale n’est abordée qu’en fin de programme de première. Quel intérêt, dans ces conditions, de lire quelques semaines après la rentrée un document à des élèves qui n’ont pas encore étudié le cours dans lequel celui-ci doit s’insérer ?


L’HISTOIRE NE FAIT PAS BON MENAGE AVEC LA MEMOIRE

Les premières déclarations publiques de Nicolas Sarkozy ayant suivi son élection laissent clairement deviner son intention : en célébrant la mémoire de Guy Môquet et de plusieurs résistants exécutés au Bois de Boulogne juste avant la Libération de Paris, le nouveau président prenait le contre-pied de Jacques Chirac en 1995 avec le discours prononcé à l’occasion de la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv dans lequel il évoquait la responsabilité de l’Etat français dans la déportation des juifs. Contre un discours de repentance, Sarkozy préférait pour sa part souligner le rôle de ceux qui n’avaient pourtant été qu’une minorité, les résistants. Une attitude que l’on a pu retrouver sur un tout autre sujet lors de ses déclarations sur l’Afrique (volonté de souligner des aspects positifs à la colonisation). En cherchant à redonner une place essentielle à Guy Môquet au sein de la mémoire collective, Sarkozy essaie donc de minorer les aspects les moins glorieux de la période (collaboration, attentisme des Français) pour n’en retenir que les plus glorieux (engagement d’une minorité de Français dans une action de résistance face à l’occupant allemand). Mais la mémoire, qui apparaît sélective, n’est pas l’Histoire, qui doit permettre d’évoquer tous les aspects d’une période et de ne pas en retenir simplement quelques uns. Si mémoire et histoire sont un vieux couple, elles doivent faire chambre à part : la question de la mémoire n’est pas le problème des enseignants d’histoire et un cours d’histoire ne saurait être une célébration ou une commémoration.

Pour les raisons mentionnées ci-dessus, nous ne participerons donc pas
à la lecture de la lettre de Guy Mocquet le 22 octobre 2007.