Clichy, le 28 novembre 2006
Y a-t-il ici quelqu’un qui aurait comme ambition l’échec scolaire ? Non, bien sûr, mais ne nous payons pas de mots. Comme toujours le diable se cache dans les détails, non dans les bonnes intentions. Avons-nous attendu le drame de l’an passé et l’embrasement généralisé pour rêver d’une meilleure vie, d’un meilleur avenir pour nos élèves et leurs familles ?
Au-delà de l’effet d’annonce précipité, du saupoudrage de mesures improvisées, du tour de passe-passe digne du bonneteau quant à leur financement, au-delà de l’enfumage médiatique, posons nous ces deux simples questions : ce contrat nous dote-t-il des moyens de la réussite et d’abord, pouvons nous réussir seuls ?
En ville, les jeunes d’AC le feu s’organisent, l’exposition des 12 photographes habille le pignons des immeubles, mais Clichy-sous-Bois n’a toujours pas le commissariat qu’elle réclame depuis 30 ans§ La commune la plus jeune de Seine Saint Denis est privée de caisse d’allocations familiales ; avec 40% de chômeurs, il n’y a toujours pas d’agences ANPE ni d’ASSEDIC. Pas de cinéma non plus, ni de patinoire, ni de piscine, mais des ascenseurs qui peuvent rester en panne des mois. Treize étages à pied. Les boîtes à lettres envolées. Sont-ce des conditions idéales de réussite ?
Comme chacun le sait, la cavalerie outre qu’elle ne fait pas dans la dentelle, arrive toujours trop tard ; les Clichois méritent autre chose que les descentes musclées de la BAC. Nous n’avons pas entendu parler d’un véritable d’état d’urgence et de sauvetage qui serait seul à même de juguler le communautarisme, les intégrismes et surtout de lutter contre le déterminisme social qui nourrit au mieux la désespérance, au pire l’extrémisme et le racisme. Il faudrait agir de concert et au même rythme sur l’habitat, les transports, la police, la justice. L’habitat : pourquoi tous les quartiers ne seraient-ils pas beaux ? Pourquoi tolérer que des maires préfèrent s’acquitter d’une amende, plutôt que de construire des logements sociaux, instituant de ce fait des villes ghetto où s’amassent les déshérités de tous bords ? La justice : un jeune doit attendre 8 mois pour rencontrer un éducateur après le prononcé d’une mesure éducative par un magistrat. Les loisirs, pas facile de les promouvoir vu le degré d’endettement de la ville...
L’enseignement enfin ? Pour ce qui nous concerne plus directement, bien que tout soit lié, notre collège qui avec ces élèves venus des 4 coins du monde, au total 36 nationalité et de moins en moins francophone et dont pratiquement un sur deux accuse un retard scolaire de un, deux, voire trois ans, a vu, année après année, disparaître le financement des voies diversifiées pourtant bien utiles à nos élèves les plus en difficulté : disparition de la 4e Aide et Soutien, réduction de 2 à 1 an de la scolarisation spécifique des NF, disparition programmée de la 3e d’insertion en sursis, mais pour combien de temps ? Les effectifs par classe n’ont jamais été aussi élevés§ Comment accueillir correctement dans ces conditions les anciens NF dans les classes banales au fur et à mesure et selon le rythme de chacun ? Comment manipuler avec des élèves en science qui se déclarent pourtant expérimentales ?
Comment assurer la surveillance des mouvements, la sécurité dans les couloirs d’un établissement en arc-en-ciel, à la visibilité restreinte alors que les effectifs de la vie scolaire sont passés de 3 CPE à 2 et que 5 postes d’aides éducateurs ont été supprimés ? Tout cela nous l’avons dit à l’Inspection Académique lors de notre réception fin septembre 2006 ; nous demandions la création d’une 6e supplémentaire. Nous n’eûmes droit qu’au cynisme et au mépris.
« S’il n’y a pas de place en 6e pour accueillir les NF, mettez les où il y a de la place et avec leur tranche d’âge » (sic)
« Nous sommes parfois trop gentils, si les enseignants ne sont pas contents, ils n’ont qu’à faire la grève§ » (sic)
Or donc, même si nous ne fermons aucune porte et sommes prêts à travailler sur un nouveau projet d’établissement doté des moyens indispensables à sa réalisation, nous ne participerons ni aux agapes nécessairement modestes vu l’état de délabrement financier de l’établissement, ni aux congratulations d’usage tant elles nous semblent dérisoires en regard de l’immensité des problèmes. Nous nous contenterons, demain comme aujourd’hui de retrousser les manches, d’aller au charbon pour que survive notre collège, Romain Rolland, même si nous savons parfaitement bien qu’en guise d’ambition réussite et compte tenu de moyens octroyés à l’heure actuelle, il s’agirait plutôt de MISSION IMPOSSIBLE.