La nouvelle réforme du collège pose plus que jamais la question de l’unicité du collège et met profondément à mal le principe - hélas largement mythifié - d’indivisibilité républicaine. La fracture scolaire, engendrée par la concurrence entre les territoires et la compétition entre établissements, est au c ?ur du sujet. Les paroles étant trop souvent démenties par les actes, on ne s’étonnera pas que les mêmes qui prétendent s’attaquer à l ?apartheid social et racial, présentent le mois suivant, une réforme instaurant une territorialisation à marche forcée de l’école : c’est-à-dire une gestion de la pénurie plus ou moins grande en fonction du lieu où est implanté l’établissement, propre à renforcer le séparatisme social et scolaire déjà à l’oeuvre.
Gérer localement la pénurie de moyens
Par la transversalité des enseignements, des programmes et des évaluations, la réforme actuelle déléguerait une marge d’autonomie encore plus importante aux chefs d’établissements pour gérer la pénurie de moyens. Cette autonomie leur octroierait la possibilité d’exercer des pressions afin que les enseignants adaptent leurs cours pour faire face aux besoins locaux en ressources humaines. Par l’imposition progressive de la polyvalence, elle autoriserait les équipes de direction à s’immiscer dans l’organisation des cours, la progression pédagogique et l’évaluation, exerçant par là une tutelle pédagogique de plus en plus prégnante et envahissante sur les personnels.
Rendre illisibles les signes les plus ostensibles d’inégalité de traitement entre établissements scolaires
Par la modularité ? elle accentuerait les déséquilibres déjà à l ??uvre entre les établissements dans l’offre scolaire et la compétition entre les territoires. Les établissements les moins attractifs, objectivement moins bien dotés, seraient contraints d’adapter leur offre de formation par pure contingence, au gré des carences en personnels et non en fonction d’objectifs éducatifs. Des options ou même des disciplines disparaîtraient dans ces établissements. En l’absence de repères communs ? cadrages horaires et disciplinaires par niveau - cette contre-réforme rendrait illisibles les signes les plus ostensibles d’inégalité de traitement entre les établissements à l’échelle du territoire de la République. Ce faisant elle entérinerait l’idée que la question des inégalités sociales et scolaires est une fatalité indépassable. Ce serait le signe d’un véritable renoncement à s’attaquer à la question politique fondamentale : la question sociale.
Résoudre la crise de recrutement à moindre coût
Par la polyvalence, cette réforme permettrait de casser le caractère disciplinaire du recrutement et de la formation des enseignants pour lui substituer un recrutement pluridisciplinaire, une dégradation statutaire et une baisse du niveau de la qualité de ce qui est transmis par l’enseignant. Elle confinerait les enseignants dans des tâches d’exécution et non plus de conception. Elle les exposerait aux pressions et vexations des hiérarchies intermédiaires, pour s’assurer de leur docilité. Cette déqualification aurait nécessairement des conséquences salariales ? une augmentation du temps de travail et une dégradation des conditions d’embauche, et partant, une baisse de salaire. Elle accélérerait le nivellement du système éducatif dans son ensemble. ? court ou moyen terme, le recours massif de professeurs des écoles au collège serait justifié par le caractère transversal et polyvalent des enseignements. Du point de vue du ministère, cette solution aurait deux avantages : justifier des salaires plus faibles pour un temps de service supérieur (24 heures devant élèves pour les professeurs des écoles) ; résoudre la crise du recrutement à moindre coût.